Vainqueur de la Gambardella avec Marcus Thuram, au placard en Algérie, révélation de D1 russe… la folle histoire de Rayan Senhadji
À 26 ans, Rayan Senhadji a roulé sa bosse. Vainqueur de la Gambardella avec Sochaux en 2015, le défenseur franco-algérien a par la suite navigué entre la Bulgarie, le Danemark et l’Algérie, avant d’atterrir en Russie, où il s’éclate depuis cet hiver.
À l’heure où le taux de désaffection n’a jamais été aussi important dans le football, il y a heureusement encore de belles histoires qui viennent nous réconcilier avec ce sport. Celle de Rayan Senhadji, aujourd’hui joueur du Fakel Voronezh en D1 russe, a un narratif prenant, des chapitres retournants, et espérons-le, une suite excitante. À 26 ans, ce défenseur franco-algérien a bourlingué avant d’atterrir au mois de janvier en Russie, qu’il n’a finalement découverte que deux mois après sa signature. «L’arrivée s’est faite en Turquie parce qu’ici, à Voronej (dans l’Ouest de la Russie), les hivers sont extrêmes et les températures atteignent parfois -35 degrés. Pendant la préparation hivernale, on a affronté des clubs de pays limitrophes : turcs, russes, kazakhs…», explique-t-il. Mais alors pourquoi la Russie ? «Ce qui m’a convaincu, c’est que la Premier-Liga (le Championnat de première division russe) était quand même supérieure au Championnat bulgare, où j’évoluais. Ici, je peux affronter le Zénith Saint-Pétersbourg, le Spartak Moscou, des joueurs internationaux…», insiste-t-il.
La veille de notre appel, Senhadji s’était notamment frotté à Claudinho, milieu de terrain brésilien du Zénith, pisté par l’OM il y a deux ans. «Il est très très fort», sourit le joueur formé à Sochaux. Mais aurait-il pu s’imaginer jouer ce type de matches il y a un an, lorsqu’il était au placard à la JS Kabylie, essuyait des refus de clubs de National 1, et pensait à arrêter le football ? «Non», reconnaît-il, même s’il martèle avoir toujours eu conscience de ses qualités. Ces qualités en question, ce sont celles qui lui avaient d’abord permis de se révéler en Bulgarie, en 2020. Cinq ans ans après remporté la Coupe Gambardella aux côtés de Marcus Thuram ou Ibrahima Konaté à Sochaux, le natif de Lyon avait jugé le moment opportun pour se lancer dans l’inconnu. «J’étais en fin de contrat à Sochaux et j’ai signé à Montana. En France, c’est dommage qu’on soit aussi peu ouvert d’esprit car les retours étaient souvent 'ah oui, la D1 bulgare ? C’est de la N2 ou de la N3 ça’. Je les invite à venir jouer ici, et ils verront qu’affronter le Ludogorets ou le CSKA Sofia, deux clubs habitués à l’Europe, ce n’est pas la récréation. En Bulgarie, j’ai enchaîné et je me suis rendu compte que c’était la meilleure chose de m’être expatrié. D’autant qu’aujourd’hui, c’est très compliqué de quitter le circuit professionnel en France, et de le réintégrer après être passé par la case N2», souligne-t-il.
La grande aventure puis le grand vide
Après une belle saison en Bulgarie, la voie semblait alors dégagée : une signature programmée en D1 algérienne, à l’été 2021, mais qui s’est avérée être un feu de paille. «J’étais libre pendant 6 mois car j’avais un pré-contrat avec un club algérien. Mais j’étais dans le flou, j’avais besoin de jouer et un ami m’a trouvé une opportunité en D1 danoise. J’ai foncé», rembobine-t-il. Mais rapidement, ses espoirs s’éteignent puisque le club fait un dépôt de bilan en début d’année 2022. Les montagnes russes émotionnelles se prolongent avec une excitante porte de sortie à la JS Kabylie, club le plus titré d’Algérie, mais qui vire rapidement au cauchemar. «J’ai réclamé des impayés et ça n’a pas été apprécié. J’ai donc été envoyé en réserve jusqu’à nouvel ordre. L’agent qui m’avait placé ici n’affichait plus le son ni l’image. Des clubs de N2 ont eu des doutes sur mon niveau et me demandaient de venir en test… Je pensais à arrêter le football», se remémore-t-il.
Mais en parallèle, Senhadji, en bon samaritain, tente de caler l’un de ses amis dans le club bulgare de Pirin, où il a des entrées. Il présente le profil à l’entraîneur Stanislav Manolev, ex-international bulgare qui a notamment évolué au PSV ou à Fulham, mais ce dernier n’est pas vraiment emballé. Pour Senhadji, en revanche, il a mieux… «Il me dit clairement qu’il n’a pas besoin de milieu de terrain même s’il apprécie le profil de mon pote. Par contre, il prend de mes nouvelles car il a besoin d’un défenseur central pour 6 mois. Il m’invite à me libérer de mon club pour me signer dans la foulée. Le lendemain sur Whats App : pas de bonjour, juste le contrat en PDF. Je signe, ça se passe super bien, et après 6 mois je vais à Krumovgrad, un autre club bulgare ambitieux, un peu dans l’esprit du Monaco de 2013 qui remonte en Ligue 1, toutes proportions gardées.» Une nouvelle parenthèse de 6 mois dans les Carpates, qui lui permet notamment de perfectionner son bulgare et son anglais, puis cet envol en Russie, donc, au mois de janvier, concrétisé grâce à un ami. Car oui, dans l’entourage de Senhadji, la «camaraderie», c’est le maître-mot. «Après une bonne première partie de saison, j’ai mon ami Mohamed Brahimi qui sonde son président de Voronezh en Russie pour moi. Il lui demande 'il coûte combien, il veut combien, et c’est qui son agent?' Et je signe directement», rembobine-t-il. Un joli pied de nez pour des clubs de National 1 qui lui proposaient l’équivalent d’une bourse échelon 4 du CROUS. Ces mêmes clubs qui lui reprochaient un manque d’expérience quelques mois plus tôt…
La sélection algérienne, et pourquoi pas ?
Au coeur d’un collectif chancelant, 13e et sous la menace d’une relégation, Senhadji parvient quand même à tirer son épingle du jeu aujourd’hui. En mars, il a d’ailleurs été élu meilleur joueur de Voronej. «Aujourd’hui, j’ai plus de 100 matches en professionnel. Avec du recul, je suis bien content de ne pas avoir arrêté le football», sourit celui qui s’amuse à analyser l’évolution de sa valeur marchande sur le site Transfermarkt. «C’est marrant, on se croirait dans FIFA. Aujourd’hui, je coûte 500 000€, et à l’époque, je me souviens qu’un ami m’avait fait savoir que j’avais un peu baissé. Mais ce qui est dommage, c’est qu’aujourd’hui les clubs s’arrêtent souvent sur ça. Ils veulent des joueurs bankables pour les revendre plus cher. Les scouts sont formés aux chiffres, à l’ordinateur, et plus trop au terrain, à l’orientation du corps, au body language d’un joueur», déplore-t-il.
Quand on l’interroge sur ses objectifs plus personnels, il avoue rêver secrètement du maillot algérien, sans en faire une fixette : «quand je jouais à Montana, j’avais fait partie d’une liste élargie, ce qui montre que le Championnat bulgare est observé. Aujourd’hui, la sélection, c’est dans un coin de ma tête, mais ce n’est pas mon objectif numéro 1. Ce que je veux, c’est jouer tous les matches», confie-t-il. Pour y parvenir, il met tous les moyens de son côté : soins au quotidien, séances chez le kiné, programme alimentaire strict, et des séances de sport personnelles qu’il vient greffer à son agenda déjà bien chargé. Le match du week-end, c’est la récompense en quelque sorte : «il y a un an, je ne m’imaginais pas ici, donc je suis reconnaissant et j’optimise au maximum mes temps libres pour performer. Jouer à Loujniki par exemple, stade de 80 000 personnes où la France a gagné une finale de Coupe du Monde, c’est fou, ce sont des émotions très fortes.» Un cocktail d’émotions au quotidien, mais pas encore aussi intense que ce lui avait procuré la victoire en Gambardella : «C’est la plus belle émotion foot que j’ai ressentie, et aussi le dernier trophée remporté par Sochaux. On avait éliminé le Guingamp de Blas et Coco, le PSG de Nkunku et Augustin, et le Lyon de Del Castillo, Cornet, Diakhaby», se remémore-t-il. Une expérience qui lie à vie, et qu’il aime toujours évoquer. Dans leur groupe Snapchat, Senhadji, Konaté, Thuram, Onguéné, Robinet, Fuchs, Prévot et toute l’équipe échangent au quotidien, rigolent, et refont parfois le monde.
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